La Journée nationale des peuples autochtones : Réflexion personnelle et sur l’évolution de notre culture
Le nom qui figure sur mon certificat de naissance est Michele Baptiste, mais mon nom traditionnel est Red Sunset Woman. Je fais partie du clan de l’ours des Algonquins de Pikwàkanagàn, de la région de Golden Lake, Ontario.
On m’a demandé de rédiger un blogue pour souligner la Journée nationale des peuples autochtones. Cette journée vise à souligner les réalisations remarquables des peuples autochtones et à les faire connaître à tous les Canadiens. C’est aussi l’occasion pour nous de célébrer qui nous sommes en tant qu’autochtones et de rendre hommage à nos ancêtres.
Vous trouverez une description de la Journée nationale des Autochtones, ainsi qu’un bref historique sur le site Web de Services aux Autochtones Canada (défilez jusqu’à la section intitulée Journée nationale des Autochtones).
Trouver de l’inspiration au sein de la communauté et s’engager
Tout d’abord, quelques mots à mon sujet : Si j’ai gagné des galons dans la communauté autochtone de Toronto, c’est grâce au mentorat de Sylvia Maracle, Joe Hester, Roger Obonsawin, feus Rodney Bobiwash et John Pheasant, les anciens Pauline Shirt, Vern Harper et l’inoubliable Lillian McGregor. Ces gens ont été de vrais pionniers. Socialement engagés, ils n’ont jamais hésité à lancer des initiatives à des moments critiques et ont permis à la communauté autochtone de Toronto de s’épanouir. Ces initiatives ont parfois pris la forme de négociations, de marches, de manifestations ou encore de protestations visant à obtenir des fonds pour assurer la prestation de services essentiels. Ultimement, ces guides ont défendu nos droits, et leurs réalisations continuent de renforcer mon sentiment d’appartenance à ma communauté et mon engagement envers elle.
Comme bien des autochtones, je n’ai pas grandi dans ma réserve (contrairement à mon père qui y est né et y a passé son enfance). Mon père était métallo et se rendait là où il y avait du travail. Il s’est donc installé à Toronto. À cette époque, être membre des Premières Nations n’était ni facile ni bien vu. C’était plutôt honteux en fait. Mon père a donc été élevé comme « un vrai petit blanc ». D’ailleurs, les jeunes de sa génération n’ont pas appris l’algonquin. Ma grand-mère paternelle et les autres membres de la communauté croyaient que son apprentissage ne causerait que du chagrin.
Trouver ma voie et combler un vide dans ma vie
Quelques années plus tard, nous nous retrouvons à Cleveland, Ohio, avec d’autres familles autochtones, car il y avait plus de travail là-bas pour les hommes. Mes parents se sont séparés, et ma mère nous a emmenés, mon frère et moi, vivre près de sa famille en Ontario, plus précisément à Port Perry, une petite ville au nord-est de Toronto, pas très accueillante envers les peuples autochtones. Pour une foule de raisons, j’ai donc grandi sans vraiment connaître ma culture. Je savais que j’étais une Algonquine de Golden Lake. J’avais une carte de statut d’Indien, mais ça s’arrêtait là. J’ai commencé à prendre conscience de mon héritage culturel et de ce que cela signifiait pour moi à 18 ans.
Mes sentiments étaient partagés. J’étais fière de mes origines, mais je vivais aussi une certaine culpabilité. Certes, j’avais une carte de statut d’Indien, mais je ne connaissais pas encore mon côté autochtone. J’avais l’impression d’être habitée par un vide impossible à combler.
À 20 ans, une histoire de cœur m’a conduite à Toronto. Je suis allée au collège, et j’ai obtenu mon premier emploi au sein de la communauté autochtone. Cette expérience a servi de catalyseur et m’a permis de m’immerger dans ma culture. J’en ai profité à fond. J’ai assisté à tous les rassemblements communautaires, et participé à des marches, manifestations et mouvements de protestation. J’ai pris fréquemment part aux rencontres avec les anciens pour les écouter, et me suis portée volontaire auprès de divers organismes communautaires. D’ailleurs, à un moment donné, je siégeais à trois conseils d’administration et à quatre comités. Mon comité préféré veillait à l’organisation du rassemblement annuel des anciens au Native Canadian Centre de Toronto.
C’était exactement le genre d’expériences dont j’avais besoin pour commencer à combler ce vide.
J’ai décidé de participer aux cérémonies annuelles de jeûne, j’ai reçu ma première plume d’aigle, puis mon tambour. Le Native Canadian Centre est devenu mon point d’ancrage, et je voulais redonner à cette organisation qui m’avait tant apporté. J’ai été élue au conseil d’administration, et j’ai accordé toute mon attention à ce poste au cours des neuf années qui ont suivi. Durant la quatrième année, Lillian McGregor m’a suggéré de me présenter comme présidente du conseil. Elle m’appelait « El Presidente » (et par « suggéré », je veux dire qu’elle m’a ORDONNÉ de le faire. On ne dit pas non à Lillian!). J’étais terrifiée. Que pourrais-je apporter de plus à l’organisation? Et tout d’abord, est-ce que je possédais les compétences nécessaires pour m’acquitter de ce niveau de responsabilité?
On ne les appelle pas « les anciens » pour rien! Ils en savent tellement plus que nous... Lillian savait que j’étais non seulement prête et qualifiée, mais que j’excellerais et apprendrais à ce poste, et que j’en ressortirais grandie. À titre de présidente du conseil, j’ai appris bien plus sur le leadership que je ne l’aurais cru.
Trouver comment réconcilier deux mondes différents
Quelques années dans ma quête d’épanouissement personnel, j’ai accepté un poste dans une grande banque canadienne, dans le domaine du recrutement des Autochtones. Quelle dichotomie! J’avais réussi à bien m’implanter dans ma communauté et je travaillais sur Bay St. Je ne savais pas combien de temps je tiendrais. Je veux dire par là que j’étais une femme autochtone forte dans un environnement à prédominance masculine et blanche, et où la culture signifiait carrément autre chose. À cette époque, peu d’Autochtones travaillaient en entreprise, encore moins dans le domaine bancaire.
Ce fut très difficile au départ, j’essuyais des commentaires négatifs des deux côtés. Ma communauté me reprochait de renier ma culture pour un chèque de paie. Et au bureau, j’entendais des remarques comme « elle a obtenu le poste parce qu’elle est autochtone » et « toi, tu peux faire tout ce que tu veux, alors que les autres doivent suivre les règles ». Je passais beaucoup de temps avec Lillian qui m’inspirait de sa sagesse et m’offrait un soutien sans faille. Selon elle, la seule façon de renverser la vapeur à la banque était de rester à la banque!
C’est à ce moment que la femme autochtone forte a pris les commandes. Il N’ÉTAIT PAS question que je renie ma culture pour quiconque. J’avais consenti trop d’efforts pour découvrir mon héritage et mes traditions culturelles – mon droit d’aînesse – et gagner le respect de ma communauté. Aucun compromis n’était possible, et je l’ai fait clairement savoir à la direction et au personnel de la banque ainsi qu’à ma communauté. Au fil du temps, il est devenu évident pour les deux côtés, ainsi que pour moi-même, que je devais apprendre à réconcilier mes deux facettes et à offrir le meilleur de moi-même à la banque et à ma communauté. Un ami m’a confié plus tard que les anciens étaient très fiers du travail que je faisais pour notre peuple.
Mon emploi à la banque a débuté par un contrat d’un an en recrutement. Près de 14 ans plus tard, je me suis créé deux postes nationaux : directrice nationale – Emploi des autochtones, puis, directrice nationale – Relations avec les autochtones. J’ai dû surmonter de nombreux défis, mais je suis restée fidèle à ce que je suis. Résultat : j’ai gagné le respect de mes collègues, de la direction et des hauts dirigeants. Je serai toujours reconnaissante des occasions que j’ai eues et du perfectionnement professionnel offert à la banque, et je serai toujours fière du changement positif que j’ai réussi à apporter.
Façonner l’avenir
De nos jours, de nombreux autochtones travaillent dans le domaine bancaire, et d’autres connaissent de beaux parcours en entreprise partout au pays. La société a changé et aujourd’hui les autochtones influencent leur milieu de travail de façon positive et se font remarquer dans les entreprises canadiennes. Nous sommes passés d’une époque où les autochtones avaient peur de s’identifier comme tels dans les enquêtes sur la main-d’œuvre à une période où ils sont fiers d’affirmer leur identité.
Et maintenant, j’ai l’occasion de pouvoir partager avec Express Scripts Canada les fruits de ma longue expérience. Je ne pourrais être plus fière. En fait, j’aimerais dire Chi Meegwetch (mille mercis) à Express Scripts Canada qui m’a confié le mandat de concevoir et de mettre en œuvre une stratégie de relations avec les autochtones en me nommant Gestionnaire, Relations avec les autochtones.
Il me revient souvent à l’esprit un incident survenu lors d’un spectacle de quartier. Une étrangère assise de l’autre côté de la table m’a demandé, d’une voix stridente, si j’étais une Indienne.
J’ai été indulgente, voyant bien qu’elle avait bu quelques verres, et j’ai simplement dit « Oui ».
Elle a alors dit qu’elle était très fière de rencontrer une vraie Indienne, et j’ai répondu être particulièrement fière d’en être une.
Lors de la Journée nationale des peuples autochtones, je réfléchirai au cheminement qui s’est opéré dans les entreprises à mon initiative et qui a changé l’image qu’on se faisait du peuple autochtone. Je vais aussi en profiter pour m’exprimer sur ce que nous pouvons mieux faire au Canada, notamment pour rapprocher nos diverses communautés et le monde du travail.
Plus important encore, je célébrerai qui je suis.
BONNE JOURNÉE NATIONALE DES PEUPLES AUTOCHTONES!
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Mise à jour : Le 12 mai 2018, Vern Harper, surnommé l’ancien en milieu urbain, est décédé à Toronto. J’ai eu le privilège de participer à des cérémonies avec lui pendant des années; il me manquera énormément. Il nous guide désormais depuis le monde des esprits. « Mitakuye-Oyasin », Vern!